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Recueil d'écritures
12 octobre 2014

Un village d'irréductibles gaulois

Un Village d’Irréductibles Gaulois

Résultat de recherche d'images pour "Mairie du vieux Montmartre"

Samedi 18 Juin 2050. Un ciel lourd et plombé entame le moral des rares parisiens qui, levés de bon matin, se dirigent vers leur boulangerie favorite dans le but très altruiste de ramener croissants et pains au chocolat à leur progéniture. Ce ciel, inhabituel au printemps, va de pair avec l’appel qui vient de leur parvenir via l’oreillette que chacun maintient branchée  en permanence sur sa fréquence radio préférée. Oreillette est d’ailleurs un grand mot car cette nouvelle génération de « Walkman » est de la taille d’un petit brillant qui demeure fiché dans le lobe inférieur de l’oreille et que l’on active de manière vocale. Il est alors sept heures du matin et le simple fait de proférer le mot « top antenne » avait conduit nombre de quidam à entendre ceci :

 

« Français, françaises, Montmartrois, Montmartroises, après une décennie de calme et de tranquillité voilà que les puissances réactionnaires avides de richesses et de profits s’en prennent à nouveau à notre patrimoine culturel et rêvent de transformer notre chère butte Montmartre en un parc de loisir derrière lequel tous les « Disneyland » de la planète érigés à l’aube de ce siècle passeront  pour d’aimables jardins d’enfants. Vous m’aviez fait confiance en 2040 pour éviter à notre vénérable funiculaire de finir dans un musée ou, plus probablement, dans une casse infâme, Il faut à nouveau me faire confiance pour éviter que notre chère « place du Tertre » ne devienne le terminal du monstrueux « Rescalator » dont la construction a été, hélas, avalisée hier par notre chambre de députés tous corrompus et liés à la puissance des maffias et des triades de l’empire asiatique.

 

Pour ce faire, rendez-vous demain Dimanche 19 Juin 2050 à 15 heures place du Tertre pour faire entendre votre voix. Je compte sur vous.

 

Signé : Honoré Anselme Poulbeau

 

Cet appel du dix-huit Juin survenant cent dix ans jour pour jour après celui du Général de Gaulle a, bien sûr, de quoi surprendre. Il convient donc de faire le point sur la situation de Paris en cet an de grâce 2050  et sur les différents protagonistes de cette histoire.

 

A tout seigneur, tout honneur, commençons donc par Honoré Anselme Poulbeau signataire énergique de cet appel au peuple.

 

S’appeler  Poulbeau « e a u  »  et prendre la parole au nom de la Commune Libre du Vieux Montmartre, il y a là un paradoxe qui ne manquera pas de choquer les puristes.

 

Tout le monde ou presque connaît Francisque Poulbot (1879-1946) dont les dessins du gosse de Montmartre misérable et gouailleur ont fait le tour du monde. Par ailleurs co- fondateur de la République de Montmartre avec Forain et Willette, son nom reste attaché à une rue qui jouxte la place du Tertre.

 

Ce que beaucoup ignorent mais que certains murmurent c’est que l’arrière grand-père d’Honoré Anselme aurait, un beau jour de 1934 fait enregistrer un enfant adultérin sous le nom de Poulbeau « e a u  » au lieu de Poulbot « o t  » et ce grâce à la complicité d’un employé de Mairie  fervent admirateur de l’artiste.

 

Cet enfant prénommé Onésime ne fit jamais parler de lui. On ne retrouve sa trace qu’en tant que géniteur de Séraphin  Poulbeau (1964 – 2027) employé communal sur la butte et marié à une certaine Germaine Lagoulue (rien à voir avec celle qui fit les folles nuits du Moulin Rouge de Toulouse Lautrec) qui lui donna le petit Honoré Anselme le 26 Janvier 2017 avant de terminer sa vie dans un couvent.

 

 Rendu orphelin, à la mort de son père le 4 août 2027 d’une cirrhose du foie due à une certaine complaisance pour les apéritifs anisés, le dernier des Poulbeau fut confié à la DASS et il s’émancipa de cette honorable institution dès sa majorité pour, suivant les traces de son géniteur, devenir employé communal au sein de la Commune Libre de Montmartre. Il devint même, en peu de temps, l’un des rouages clefs de l’institution, en charge notamment du développement de la vigne et des cérémoniaux liés aux vendanges. Plus sobre que son père, rien ne l’empêchait désormais de suivre la voie tracée par son maître et modèle à savoir Jacques Delarue célèbre garde champêtre de la Commune Libre du Vieux Montmartre  plus connu sous le nom d’Anatole de 1953 à 1998. Bien sûr, il n’avait connu ce dernier que par ouï dire,  mais, depuis sa prime jeunesse, il se sentait comme investi d’un devoir de relève auquel il ne pouvait déroger.

 

 En fait, ce poste honorifique n’était plus attribué depuis longtemps mais les événements de Mars 2040 allaient lui redonner une légitimité toute particulière confortée par cette nouvelle poussée de fièvre de juin 2050.

 

Profitons-en pour reparler de ce Paris des années 50. Le tramway périphérique

 

Symbole de l’équipe Delanoé du début du siècle est  achevé depuis une trentaine d’années ; Ne pénètrent plus dans Paris intra muros que des véhicules électriques impersonnels que chacun, moyennant finance, utilise et abandonne au gré de ses déplacements. Une batterie de caméra vidéo surveille chaque moindre pouce d’asphalte. Aucune crotte de chien ne leur échappe ! Le métro a gagné en vitesse et confort. Certaines nouvelles lignes ont vu le jour particulièrement pour desservir l’aéroport de Roissy (Nous en reparlerons plus tard). Les bateau bus hydroglisseurs se sont généralisés sur la Seine. La desserte aérienne par hélicoptère s’est intensifiée. Les nouveaux appareils « Bourdon 747 »  cinquante places, décollent de l’héliport d’Issy nouvellement agrandi par son emprise sur les dépendances de l’ancienne Foire de Paris puis ils effectuent le GCA (grand circuit aérien) équivalent ou presque à celui accompli au ras du sol par notre vénérable bus RATP/PC des années 2000.Parmi les escales pittoresques de ce circuit très prisé par les touristes on peut citer entre autre :La Tour Montparnasse (héliport au sommet)- La Butte aux cailles (Héliport Pilâtre de Rozier édifié à l’endroit même ou le téméraire aérostier se posa en 1783 au terme d’un premier vol en Montgolfière parti 25 minutes plus tôt de la porte de la Muette)- L’héliport Chappe-Télégraphe (installé sur les lieux ou le télégraphe de Chappe à bras mobiles correspondait avec son vis à vis de Montmartre) – Montmartre justement :Héliport de la Galette (Les ailes du Moulin préfiguraient, parait-il, celles d’un hélicoptère !) – Arc de Triomphe (Héliport au sommet) –Issy Terminal Foire de Paris. / Palais des sports .Ces vols urbains bénéficient du label : « Sécurité absolue »: Chaque hélico est muni d’un airbag (sorte de grosse Montgolfière à l’hélium) qui, en cas d’incident et, surtout,  de panne du rotor se gonfle instantanément et permet à l’appareil de prendre contact avec douceur avec le plancher des vaches. Ce Paris piétonnier, policé, aseptisé, mais assez tristounet, n’a plus rien à voir avec la métropole grouillante et bruyante du vingtième siècle. Il a, en quelque sorte, perdu son cachet, voire son âme,  à l’exception toutefois d’un village dit «  d’irréductibles gaulois », à savoir la Commune Libre du Vieux Montmartre, établie sur la butte dont elle porte le nom et qui seule porte encore le charme et les stigmates de son glorieux passé. C’est ici notamment qu’en 1871 débuta la  grande révolution populaire dite  « Commune de Paris ».Eh bien, depuis cette date, rien n’a bougé ou presque. Comme dit mon ami Sélim qui vend des loukoums ou des glaces suivant la saison à l’angle de la rue Norvins :

 

« La place du Tertre, en 1950, en 2000 ou en 2050…..C’est kif kif bourricot ! ».

 

C’est donc à cet endroit que se situe le premier épisode qui va mettre en cause notre protagoniste ainsi que le funiculaire tel que nos contemporains du début du siècle le connaissaient.

 

Par décret, paru au journal officiel du 13 Mars 2040, la concession accordée à la RATP pour l’exploitation du funiculaire desservant la butte Montmartre est supprimée.

 

Les faibles résultats de l’exploitation et les coûts d’entretien excessifs d’une installation obsolète ne permettent plus à l’état de poursuivre le maintien de cette activité. Par contre, toute entreprise privée qui en ferait la demande pourra, si elle le désire et moyennant un euro symbolique, reprendre à sa charge cette desserte.

 

Les premières offres ne manquèrent pas : Projet de remonte pente à condition d’équiper les jardins du Sacré Cœur de canons à neige ! Projet d’un jeu télévisé débile, style loft, baptisé  «  les naufragés du funiculaire ». Plusieurs semaines de suspense pour savoir qui de l’équipe qui monte ou de celle qui descend auraient le dernier mot ! Lorsque les cabines se croisent, bagarre de tarte à la crème ! Haut le cœur assuré !

 

Un dernier projet, enfin, fit la une de tous les journaux « People » et déclencha l’intervention d’Honoré Anselme Poulbeau.

 

Un consortium maffieux installé à Pigalle mit sur la table plusieurs millions d’Euros pour, dans un premier temps, se rendre propriétaire du cabaret « La Bohême » place du tertre,  à la seule condition, d’en régenter l’accès par l’entremise du funiculaire rebaptisé pour l’occasion : « Funny – Cul – Air ».

 

Une armée de rabatteurs agissant entre Anvers et Blanche se faisait ainsi fort, à l’aide de billets gratuits estampillé « Funny – Cul – Air » de conduire des milliers d’adeptes vers le plus grand  Peep-Show européen. Notez aussi que « la Bohême » héritait au passage d’un nouveau patronyme : « La Pute Montmartre ! ».

 

Un « Peep Show », entreprise d’effeuillage industriel et graveleux, ne représente pourtant, par rapport au délicat « Strip Tease » qu’un combat inégal entre la moule de bouchot et la Coquille St Jacques. Hélas, tous les goûts sont dans la nature et l’association de mots comme « Funny » Joyeusement, « Cul » je ne vous fais pas un dessin et« Air » dans le sens de s’envoyer en l’air promettait  d’être un fabuleux coup de marketing.

 

Ce n’était certes pas l’avis de H.A.P. (Honoré Anselme Poulbeau). Il va falloir vous habituer à ces initiales (VGE, DSK vous connaissez ? alors, pourquoi pas HAP !). Non pas que ce dernier fut particulièrement prude. La fréquentation et l’habitude de jouer les guides particuliers envers les jolies touristes de sexe féminin et, de préférence, peu farouches lui avaient même permis de prendre un certain recul sur la question. Par contre, il possédait, plus que d’autres, une certaine éthique de la mission première de la butte : conserver intactes les racines de la Commune Libre du Vieux Montmartre et ne jamais s’accoquiner avec les marchands du temple qui régnaient entre Barbès et Place Clichy.

 

Vous dire comment il procéda demeure « secret défense ». Toujours est-il qu’après plusieurs démarches auprès de l’UNESCO, il ressortit un beau matin avec un parchemin classant le funiculaire de la butte Montmartre comme patrimoine de l’humanité au même titre que le pont du Gard. Excusez du peu !

 

La pérennité de l’engin fut assurée grâce aux dévouements de nombreux bénévoles et généra même quelques bénéfices vite reversés à des associations caritatives.  La première menace était repoussée. Reste la seconde qui nous préoccupe aujourd’hui.

 

H.A.P. a maintenant trente-trois ans, l’âge du Christ. Original reconnu, il s’habille d’une longue robe de bure. Ses longs cheveux blonds, barbe et moustache idem, yeux bleus délavés, sourire bienveillant, lui donnent le look d’un certain J.C. qui lui, s’affiche sous forme de statues, tableaux ou vitraux dans l’église St Pierre de Montmartre et surtout dans l’imposante basilique qui domine de sa masse bienveillante cette frileuse capitale nichée à ses pieds.

 

H.A.P. pourtant est agnostique et ne cultive pas cette ressemblance. Il respecte toutes les religions mais déteste toute les formes de prosélytisme, particulièrement celles conduisant à asservir financièrement ses semblables. Le vibrant appel qu’il vient de lancer sur les ondes vise uniquement le gang des triades asiatiques qui, depuis le retour de Hongkong dans l’empire chinois n’a cessé  d’étendre son pouvoir sur l’ensemble du globe.

 

Il faut se souvenir que dans les années 2000 la Commune Libre du Vieux Montmartre était parvenue, non sans mal, à résister à l’implantation sauvage de la culture américaine magnifiée à l’époque par les enseignes « Mac Do ».

 

Dans les quarante années qui suivirent, les américains eux-mêmes furent débordés (sur leur gauche ou sur leur droite, allez savoir ?) par la multiplicité des enseignes en provenance de Pékin, Hongkong, Shanghai ; Déjà, en 2004 à Paris le nombre de  Point presse, Tabac, Loto, PMU, tenu par des asiatiques avait suivi une courbe exponentielle très impressionnante.

 

Hors, dix ans après la  promotion éclair du funiculaire dans le patrimoine national, H.A.P. venait d’apprendre en consultant par hasard le moniteur du BTP que les feux étaient désormais au vert pour la création du « Rescalator ». Projet soutenu et financé par un holding de financiers chinois basé à Shanghai dont le nom apparaissait déjà dans le coûteux centre commercial « Chinagora », enclave oubliée de l’empire du milieu, qui semblait dormir depuis plus d’un demi siècle au confluent de la Seine et de la Marne à Alfortville.

 

Ce projet pharaonique devait relier la station de métro « Jules Joffrin » (Mairie du 18ème Arrondissement parisien) en suivant pile poil, de manière souterraine, le trajet grimpant de la rue du Montcenis et aboutir ainsi place du tertre juste entre le cabaret de La Bohême et l’église St Pierre de Montmartre.

 

Pour ce faire, il était prévu un chantier à ciel ouvert de vingt mètres de profondeur sur dix mètres de large dans lequel serait enterré une canalisation de cinq mètres de diamètre, nid douillet du futur « Rescalator », en fait un super escalator sur coussins d’air  qui relierait les couloirs de la ligne de métro n° 12 (ex Nord-Sud) à la place du tertre en douze secondes. Fermez le ban !

 

Le promoteur promettait ensuite de reconstruire la chaussée de la rue du Mont-Cenis

 

(Escaliers compris) à l’authentique. On en profitera pour noter à quel point le verbe promouvoir et le verbe promettre font bon ménage.

 

Personne n’avait même songé à mesurer comment la butte déjà truffée de champignonnières, carrières, égouts et métros en tous genres  allait accepter cette ultime pénétration. Pour les riverains de la rue du Montcenis le syndrome glissement de terrain et la crainte de voir leurs immeubles transformés en châteaux de sable devenait d’une actualité brûlante.

 

En fait tout cela faisait partie d’un audacieux pari : celui de relier le coeur de la capitale chinoise à celui de la France en moins de deux heures. Les nouvelles performances de la version commerciale de l’avion hypersonique X-43A ajoutées à celle du RER P qui, depuis 2028 emboîtait depuis Roissy le même tracé que celui de la ligne 12 laissaient deux minutes au  « Rescalator » pour remporter ce challenge.

 

Bien plus qu’il n’en fallait puisque la montée était programmée en douze secondes !

 

La face cachée de cet audacieux pari concernait le péage de cette installation.

 

L’agence chinoise qui écoulait à Pékin des billets non pas Pékin-Paris mais, astucieusement, des billets Place Tian’anmen-Place du tertre avait, grâce à un compliqué montage financier, obtenu que 15 Euros incompressibles par billet échouent dans les poches d’une société écran basée aux îles Caïman..

 

En résumé, plus de gogo chinois franchiront, éblouis, les tourniquets d’accès place du Tertre, plus la société des frères Tchang (c’est le nom d’emprunt du holding) verra se remplir son escarcelle.

 

Bien que, in fine, cette manœuvre semblait légale, imaginez un court instant la place du Tertre devenir la succursale de la grande muraille, d’autant plus, qu’histoire d’accompagner ce calamiteux projet d’un gouleyant jeu de mot, le promoteur avait crû bon d’annoncer le prochain jumelage de la place Tian’anmen avec la place « Tertr’anmen ».  Cité interdite et  Commune Libre de Montmartre, même combat ! 

 

Inutile de dire à quel point Honoré Anselme Poulbeau était motivé pour lancer son appel du dix-huit juin, à plus forte raison lorsqu’il apprit que, comme en 2040, La Bohême allait hériter d’un nouveau nom, à savoir : «  My nems is persons » !

 

Le Dimanche 19 Juin, à partir de10 h du matin, en provenance de tous les arrondissements parisiens des dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants commencèrent à converger vers la Butte. Toutes les professions, les religions, les sensibilités politiques étaient représentées. Les chinois et les vietnamiens installés depuis plusieurs générations n’étaient pas en reste. Quoique cette forme d’OPA sur la place du tertre ne puisse être qualifiée d’hostile, tous avaient le sentiment que préserver l’authenticité de ce petit paradis parisien ne pouvait qu’être bénéfique aux générations à venir.

 

Au fur et à mesure de leur approche un chant sourd et solennel émana d’abord d’un premier groupe puis se propagea à l’ensemble des marcheurs : « Ils sont venus, ils sont tous là, elle va mourir la Mama…. », Puis un autre : « La Bohême, la Bohême… » Puis les deux incantations se fondirent en une seule et émouvante supplique : « Ils sont venus, ils sont tous là….. Elle va mourir La Bohême…. » .

 

Choisir l’œuvre d’un immigré arménien n’était pas anodin. Le peuple avait pleine conscience des valeurs issues de l’immigration, raison de plus pour ne pas accepter n’importe quoi.

 

Sur place, les habitants de la butte avaient pris les devants. Une lente procession qui suivait la rue du Mont Cenis (très concernée) fit jonction avec celle qui remontait la rue St Vincent. Ils emboîtèrent le pas à ceux qui empruntaient la rue de la Bonne avant de se fondre dans le groupe qui cheminait rue du Chevalier de la Barre. Tous envahirent les rues du cardinal Guibert,  Azaïs,  Eleuthère,  St Rustique,  Norvins, pour finir rue Poulbot (tiens le revoilà celui la !) et achever ainsi de cerner la place du Tertre qu’ils prirent soin de préserver comme un ultime écrin destiné à accueillir leur héros : H.A.P. en personne.

 

Les plus chanceux et prévoyants occupaient déjà les cabarets (les manifs ça donne soif !).

 

.La Bohême, Au cadet de Gascogne, La mère Catherine, Le Consulat, Chez Eugène, Le lapin agile, la Crémaillère, Au clairon des chasseurs, La butte en vigne et, bien sûr Le Poulbot pulvérisèrent, en moins de deux heures, leur meilleure recette !

 

 Sur le coup de 15 heures l’impatience se fit jour. Aucune trace et aucune nouvelle de Poulbeau. Les rumeurs les plus folles commencèrent à circuler parmi lesquelles celles d’un assassinat politique prit vite de l’ampleur.

 

 Cette foule attendait son messie et, comme tout bon messie qui se respecte, il devait venir du ciel. A 15h07, ce fut chose faite. Un long bourdonnement recouvrit soudain le son grave du bourdon de la basilique qui appelait les fidèles aux vêpres. La foule, incrédule, releva la tête. Jamais les Bourdons 747, en phase d’approche de l’héliport de la galette, n’empruntaient cet itinéraire trop proche du campanile du Sacré Cœur. Pourtant, à la stupéfaction générale, un aéronef bleu et rouge, semblable en tous points à ceux effectuant le grand circuit, surgit et s’immobilisa en vol géostationnaire vingt mètres à l’aplomb de la place du tertre. La porte droite en plexiglas fumé coulissa lentement et une robe de bure surmonté d’une tignasse blonde se manifesta dans l’orifice. « C’est lui, c’est notre messie ! » les exclamations fusèrent, les chapeaux volèrent.

 

Le messie, alias Honoré Anselme Poulbeau, jaillit alors hors du cockpit et, prenant appui sur l’échelle de coupée, il entreprit d’haranguer la populace :

 

« Mes amis, mes très chers amis, notre combat n’a pas été inutile, nous avons gagné ! » Ce faisant, il entreprit d’effectuer le V de la victoire en tendant ses deux bras tel un émule du Général. Mal lui en prit car, en perte d’équilibre, il chuta dans le vide, se rattrapant d’une main ferme à l’ultime barreau. Simultanément, provenant d’une improbable pétoire qui avait connue les barricades, quelques coups de feu claquèrent, non pour attenter à sa vie, mais pour célébrer la victoire annoncée.

 

A petite cause, grands effets : une balle issue de ce tir en l’air festif cassa net la pale de l’hélico qui plongea vers le sol. Fort heureusement le déclenchement immédiat du système Airbag fit que, telle une feuille d’érable se posant délicatement dans une allée aux premiers frimas de l’automne, le Bourdon 747 matricule AA 3026 prit contact avec le sol, occasionnant, il faut bien l’avouer, un certain désordre parmi les chevalets de peintre et les chaises de terrasse qu’il bouscula quelque peu.

 

Le 24 Décembre 1898, sous les ovations, Louis Renault atteignait la place du Tertre suite à une ascension de la butte, via la rue Lepic, à bord d’une automobile à pétrole.

 

Le 19 Juin 2050, Honoré Anselme Poulbeau à bord d’un hélicoptère à kérosène connaît le même bonheur en déclenchant des passions pour le moins identiques.

 

 HAP, dont les pieds avaient touché terre une fraction de seconde avant l’appareil, fut immédiatement assailli par une meute de journalistes et d’envoyés spéciaux de la presse internationale.

 

Non, il n’avait pas détourné cet aéronef, mais le pilote était en fait son voisin de palier qui, d’astreinte ce Dimanche, avait accepté de faire ce léger crochet en partant effectuer son service de manière à  apporter sa contribution à une cause qu’il approuvait pleinement.

 

Oui, le ministère de l’intérieur, venait juste de le joindre sur son portable pour, compte tenu de l’invraisemblable mouvement de foule déclenché par son appel, lui confirmer que le projet « Rescalator » était gelé sine die.

 

Sans parler de l’appui des autorités de Pékin qui saluaient ainsi, dans un communiqué : « ce courageux combat pour le respect de la démocratie et des droits de l’homme ». En réalité, tout ce qui pouvait affaiblir les triades maffieuses était toujours vu d’un bon œil par le gouvernement chinois. Cerise sur le gâteau, à défaut de jumelage, promesse était faite que sous chaque panneau indiquant à Pékin la place Tian’anmen figurerait désormais en caractères chinois : « petite sœur de la place du Tertre ».Ce même soir une équipe de techniciens de l’héliport « La Galette » vint apporter une nouvelle pale pour remplacer celle endommagée et l’hélico reprit rapidement la voie des airs. A cette occasion, une expression du vingtième siècle tombée depuis en désuétude (« se faire porter pale ») reprit quelques couleurs dans les journaux satyriques.

 

Le pilote de l’aéronef détourné reçu un blâme vite commué en médaille du mérite et Honoré Anselme Poulbeau demeura l’invité d’honneur d’un énorme banquet qui déborda la place du Tertre et les jardins du Sacré Cœur pour finalement se poursuivre à L’Elysée. Cette soirée du 19 Juin se termina sous un ciel noir d’encre dans lequel les étoiles scintillaient. Ne cherchez nulle part un barde ligoté et bâillonné. Tous les bardes disponibles officiaient, ce soir là, dans les tavernes et estaminets de la butte.

 

Toute ressemblance avec des personnages fictifs élevés au rang de légende de la BD ne serait que pure coïncidence. Il n’en est pas moins vrai que ce village d’irréductibles gaulois présente un air de déjà vu. Si vous possédez un semblant de réponse, veuillez l’adresser  à :

 

Honoré Anselme Poulbeau / Garde champêtre honoraire / Poste Restante / Place du Tertre / 75018 PARIS.

 

Bien entendu seules les lettres postérieures au 20 Juin 2050, donc postérieures à cette histoire pourront être prises en compte.

 

Les lettres émanant du début du Vingt et unième siècle ne pourraient être que l’œuvre de mauvais plaisants.

 

Le cachet de la poste fera seul foi.

Jean-Pierre PALISSIER

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