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Recueil d'écritures
11 octobre 2014

Germaine du Capitole

GERMAINE DU CAPITOLE.

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Le robuste vélo jaune de la Poste ployait sous le poids de trois sacoches surchargées de  courrier. Marchant au côté du bicycle censé le transporter, le facteur, la quarantaine bien sonnée, maudissait à bas mots cette fichue rue de Crimée dont la pente n’avait rien à envier à celle du Tourmalet. Arrivé place des fêtes, il obliqua à droite et s’engagea dans la rue des solitaires pour finir par appuyer son engin sur la façade du n°39. Solitaire, la personne qui vivait au rez-de-chaussée dans cet immeuble l’avait été sa vie durant et d’ailleurs, la visite occasionnelle du facteur était, depuis des lustres, l’un de ses rares contacts avec le monde extérieur.

« Du courrier pour vous, m’dame Germaine » proféra jovialement l’employé des postes lorsqu’une fringante septuagénaire eut entrebâillé l’huis de la porte. Ce faisant, il glissa dans la main de son interlocutrice une enveloppe blanche au verso de laquelle on pouvait lire :

« Production La dernière Séance ». Elle le remercia vivement et échangea avec lui quelques banalités sur la pente abrupte qu’il venait de gravir et sur la chance que la pluie ne se soit pas mise de la partie puis elle referma la porte et déchira fébrilement la missive.

Le pli correspondait à son attente : Madame, suite à notre offre parue dans le Parisien du 12 courant, concernant une émission spéciale de « La Dernière Séance » consacrée aux ouvreuses ayant exercé leur métier avant la création des complexes multisalles, nous avons le plaisir de vous informer que votre candidature a retenu toute notre attention et nous vous donnons rendez-vous le Dimanche 15 Juillet à 19h au cinéma « Le Trianon », adresse ci-jointe, pour participer à l’enregistrement. Veuillez simplement vous vêtir de la manière la plus approchante des vêtements que vous portiez à l’époque. Les accessoires et notamment le panier destiné aux friandises vous seront remis sur place. Dans l’attente du plaisir de vous rencontrer, veuillez agréer, Madame, nos sincères salutations.

Le cœur de Germaine se mit à battre de manière désordonnée. Ainsi, elle allait pouvoir revivre une dernière fois ce qui avait été l’essence même de sa vie. Arpenter de long en large une allée et faire découvrir à un public conquis une kyrielle de vocalises toutes consacrées à trois mots magiques : «Bonbons, Caramels et Chocolats » !

A vrai dire le terme « chocolats » englobait d’une manière assez large les crèmes glacées et surtout les esquimaux que Germaine savait à merveille mettre en valeur par un sonore « Esquimo oo oho ! » digne des roucoulades du folklore tyrolien, ceci au grand désespoir des parents vite débordés par les sollicitations de leur progéniture.

Toute à sa joie, elle se précipita devant son miroir et celui-ci lui renvoya une image d’elle très rassurante. Ses cheveux gris ramenés en chignon sur la nuque lui donnaient l’air quelque peu austère d’une institutrice à la retraite mais ses deux joues rebondies couleur pomme d’api séparées par un joli nez aquilin surplombant une bouche gourmande atténuait l’aspect rigoureux du personnage.

 Ajoutez à cela un front têtu et deux jolis yeux clairs perpétuellement en mouvement ainsi qu’un menton volontaire qui en faisaient une femme pleine de détermination, au contact agréable et facile. Germaine Hudimesnil, veuve Lévèque avait vu le jour à Bourville en plein bocage normand. Fille d’agriculteurs dont le revenu essentiel provenait de la pomme à cidre elle s’était toujours entendu dire qu’elle avait une bonne bouille, ce qui, pour la fille d’un bouilleur de crû n’était en fait que justice. Après des études studieuses sanctifiées par un certificat d’étude primaire et un catéchisme dissipé pour échapper à la main baladeuse de monsieur le curé, elle s’était mariée  de bonne heure à un jeune mécanicien automobile du nom de René Lévèque. Le jeune couple s’était établi à Alençon pour y couler des jours heureux mais, hélas, elle avait eu l’immense douleur de perdre prématurément son mari lors de la catastrophe des 24h du Mans le 13 juin 1955. Son malheureux époux, commissaire de course bénévole, avait été fauché par la Mercedes folle à l’origine du drame.

Veuve, sans enfants, elle avait choisi de monter à Paris pour surmonter cette épreuve et, la première annonce venue : « Cinéma Capitole recherche ouvreuses, excellente présentation exigée » avait été la bonne. Germaine avait d’abord exercé ce métier nouveau pour elle (à Alençon elle ne faisait que des ménages la plupart du temps rétribués au noir) avec réserve et humilité puis, s’enhardissant au fil des ans, elle avait transformé la criée traditionnelle pour vendre les confiseries durant l’entracte en un véritable récital personnel ou elle déclamait les produits débordants de son panier sur des airs de refrains à la mode ou même empruntés au répertoire classique. Tango, rock, twist et bel canto n’eurent bientôt plus de secret pour elle dans des improvisations ou revenaient sans cesse les trois mots magiques : « Bonbons, Caramels et Chocolats ». Outre le pourcentage habituel sur les ventes, elle s’attirait ainsi de nombreux pourboires et parfois l’inimitié de certaines collègues moins douées.

Il est vrai que le cinéma des années cinquante n’était pas une activité à la carte telle que nous la connaissons aujourd’hui. « Aller au cinéma » était souvent le fruit d’une décision prise à la dernière minute pour lutter contre l’ennui d’un dimanche pluvieux. Chacune des deux séances de l’après-midi ou celle du soir se déroulait suivant un rite immuable. Petit film documentaire ou dessin animé en première partie suivi des actualités  « Pathé journal » qui étaient un peu le reflet de notre journal télévisé actuel, ensuite, pour les salles avec scène, une attraction du genre magicien, jongleur ou chansonnier, ensuite l’entracte avec vente de friandises sans oublier la projection, salle allumée, des fameuses publicités de Jean Mineur symbolisées, en début et fin, par le dessin animé du petit mineur faisant tournoyer son piolet afin qu’il se plante au cœur d’une cible, à la plus grande joie des enfants. La salle pouvait alors s’éteindre à nouveau pour laisser place à la seconde partie constituée du grand film à l’affiche.

Situé au début de la rue Marx Dormoy, proche du métro aérien La Chapelle, le Capitole présentait le profil type de ce genre de salle de quartier. Très vaste, avec un confortable balcon, il en imposait par rapport au cinéma Ordener situé à l’angle de la rue du même nom et écrasait de sa suffisance le Monréal qui, situé face à lui, sur le trottoir opposé, préfigurait sans le savoir les salles minuscules,  émules, malgré elles, de nos futurs complexes multisalles.

A l’occasion de périodes de vacances, il était arrivé à Germaine de faire quelques « piges » dans l’une ou l’autre de ces deux dernières salles afin de pourvoir au remplacement d’une copine mais jamais il ne lui serait venu à l’idée de quitter son cher « Capitole ».Elle faisait tant et si bien corps avec cette salle que son surnom de : « Germaine du Capitole » lui était resté, même chez les commerçants de son quartier de la place des fêtes, sans que l’on puisse savoir comment  cette appellation avait pu la suivre aussi loin.

Hélas, toutes les belles histoires ont une fin et la fermeture programmée du Capitole pour laisser place à un immeuble de standing surmontant un supermarché fut un véritable déchirement pour Germaine.

Elle sombra dans une profonde dépression et ne dut son salut qu’à une véritable chaîne de solidarité de la profession qui s’ingénia à lui trouver des postes de remplacement à Paris et en périphérie jusqu’en 1992, année ou elle pu, enfin, faire valoir ses droits à une maigre retraite.

Depuis cette date, elle ne ratait jamais à la télévision (l’un de ses seuls luxes) l’émission «  la dernière séance » produite et présentée par le rocker Eddy Mitchell, schmoll pour les intimes et, plus que le film présenté, elle avait les yeux de Chimène pour la salle ou se déroulait l’enregistrement. Le charme suranné des fauteuils rouges avec ce public oscillant lentement dans les allées lui arrachait souvent une larme furtive. Elle revoyait là son cher vieux Capitole  à l’aube de son martyr programmé à coups de pelleteuses et de bulldozers.

Germaine tritura nerveusement le bristol qui lui collait aux doigts. Elle n’osait pas y croire.

Elle, que l’existence n’avait guère épargné jusqu’ici, était en quête d’une reconnaissance tardive mais, surtout, elle allait pour un instant se replonger dans son univers à elle, celui de « Germaine du Capitole ».

Ce samedi 14 Juillet à 22h, Germaine résolut de se coucher tôt afin d’être en pleine forme le lendemain et de décrocher, qui sait, son bâton de maréchal de meilleure ouvreuse de Paris.

Malgré les nombreuses explosions de pétards qui transformaient la place des Fêtes en place « défaite », (n’est pas place des Victoires qui veut !), malgré le feu d’artifice qui s’apprêtait à embraser la Tour Effel et, qu’en d’autres temps, elle aurait essayé d’apercevoir en marchant d’un pas alerte jusqu’à la hauteur du métro Télégraphe, elle se glissa dans son lit douillet et, par la même occasion, dans les bras de Morphée.

S’il est vrai que la nuit porte conseil, le rêve (mais était-ce un rêve ?) qu’elle fit cette nuit là porte une lourde part dans la suite des évènements

Tout commença par l’odyssée d’un rayon de lune (mais était-ce un rayon de lune ?). Malgré le ciel zébré en permanence par l’explosion des différentes fusées annonciatrices du bouquet final, ledit rayon parvint à se frayer un passage pour atteindre, innocemment, la partie supérieure vermoulue et disjointe du volet gauche qui protégeait la chambre de Germaine. Ce faisant, le coquin se posa sur le visage de la femme assoupie et provoqua sur elle l’irruption d’un sourire béat. D’aucun diront que de béat à béatification il n’y a qu’un pas mais, sans doute, vont-ils trop vite en besogne. Toujours est-il : C’est à cet instant précis que Germaine entra dans le domaine du rêve et quel rêve !

Germaine, revêtue d’une aube blanche et immaculée, se trouvait face à une porte immense constituée de deux énormes battants en fer forgé. La partie supérieure de cette porte  disparaissait dans un océan de nuages. Ne sachant quelle attitude adopter face à cet obstacle, Germaine, vieux réflexe professionnel oblige, choisi d’entonner son refrain préféré « Bonbons, Caramels et Chocolats » sur un air de  «  Té Deum » qui lui semblait propice à la majesté du lieu. Comme par miracle les deux battants s’entrouvrirent très lentement et Germaine pénétra dans l’enceinte ainsi dévoilée. Une lumière intense, presque irréelle, la força à cligner des yeux. Quelques brumes se dissipèrent alors pour faire place à l’apparition d’un bel et vieil homme en robe de bure. A sa ceinture, une fine cordelette de chanvre maintenait une multitude de clefs d’aspect disparate. Une abondante barbe blanche éclairée par un sourire moqueur et des yeux bienveillants ajoutaient à l’insolite du personnage.

Germaine, figée, se remémora la page de garde de son livre de catéchisme pourtant chichement utilisé. «  Mais, mais …..Vous êtes Saint Pierre ? » Parvint-elle à articuler après un long silence.  « Donc, je suis morte ! » reprit t’elle, faisant ainsi preuve d’une logique implacable. Cette nouvelle la glaça d’effroi, non par sa sordide réalité car Germaine n’avait plus grand-chose à attendre d’une vie sans relief, mais surtout cela signifiait que sa présence au grand show télévisuel du lendemain était devenue lettre morte. Jusqu’au bout le destin ne lui aurait jamais donné sa chance.

« Rassurez-vous ma fille » lui rétorqua l’apparition. « Je suis bien Saint Pierre, détenteur, comme vous pouvez le constater, des clefs du Paradis, mais vous n’êtes pas morte, Dieu merci ! » (Il avait failli dire : « Nom de Dieu ! ».)

« Non, vous n’êtes pas morte » reprit-il.  « Votre enveloppe charnelle  repose toujours, empreinte d’un profond sommeil dans votre logement parisien. Simplement votre âme a profité d’un rayon de lune bienveillant pour me faire une petite visite de courtoisie qui, croyez le bien, ne met nullement en péril votre existence terrestre. Pour tout vous dire, nous avons besoin de vous. Plus même, nous avons un service à vous demander. »

« Moi ? Mais pourquoi moi ? Qu’ai-je donc fait pour mériter une telle preuve de confiance ? » rétorqua Germaine, à la fois soulagée et désemparée.

Saint Pierre lui demanda de s’approcher et posa sa robuste main sur la frêle épaule qui lui faisait face.  « Voyez-vous ma fille… », vieux réflexe paternaliste d’un patriarche, « Voyez- vous ma fille, nous avons suivi avec beaucoup d’intérêt votre carrière et avons remarqué avec quel amour, quelle abnégation et surtout quel lyrisme vous avez servi la gourmandise de vos contemporains. Ceci sans arrière pensée et sans jamais même avoir à l’esprit que ce petit travers faisait partie des sept péchés capitaux. Nous savons aussi que vous n’êtes guère pratiquante, mais, peu importe, ce n’est pas de grenouilles de bénitier dont nous avons besoin ! ». Plus Saint Pierre parlait, plus Germaine lui prêtait une oreille attentive.

Pour elle, tout était maintenant paroles d’évangile !

Saint Pierre reprit son souffle : « Peut-être l’avez-vous remarqué dans vos gazette habituelles, mes successeurs au St Siège envisagent sérieusement de supprimer la gourmandise de la liste des sept péchés capitaux. » Germaine avoua humblement ne pas y avoir prêté attention quoique, à bien y réfléchir, un entrefilet paru dans le Canard Enchaîné lui disait vaguement quelque chose. Germaine lisait le Canard surtout pour les dessins et elle appréciait son côté anticonformiste.

Désormais Saint Pierre était lancé et l’hésitation de Germaine ne le contraria pas outre mesure. « A vrai dire, au début je n’étais pas favorable à cette initiative car mon patron, le Christ, m’a intronisé par cette phrase : Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église. J’aurais, pour le moins, souhaité être consulté sur la mise en œuvre d’une mesure aussi radicale. Hélas, Le Saint Esprit lui-même n’a plus aucune influence sur mes successeurs. D’un autre côté, je les comprends car le monde évolue et la concurrence est de plus en plus rude. Voyez nos confrères et néanmoins amis du Paradis d’Allah. Ils ont, de facto, abrogé la luxure de leur paradis puisque une pléiade d’affriolantes vierges est désormais promise à tous leurs martyrs ! Du coup, les volontaires se bousculent au portillon avec toutes les conséquences que l’on sait ! Voyez les disciples de Bouddha qui, depuis des lustres conjuguent Nirvâna avec Kama Soutra et ne cessent de faire des adeptes.

Hors de question pour nous d’atteindre ces extrêmes mais, par contre, redonner à la gourmandise une juste place dans le rituel catholique nous permettrait peut-être de ramener vers nous quelques brebis égarées. » Et Saint Pierre de repartir de plus belle : « Imaginez les hosties. Remplaçons cette pâte blanche et insipide par des bêtises de Cambrai, des Carambar et, pourquoi pas, des chocolats Léonidas ou Jeff de Bruges ! Imaginez la foule de fidèles qui se presserait à la communion ! Pour redonner à ce soi-disant péché ses lettres de noblesse, il faut qu’une femme telle que vous se fasse la grande prêtresse d’une gourmandise qui, mise en valeur dans tous les chants religieux en vogue, trouverait ainsi, via Internet, les conditions d’un essor et d’un développement propre à pousser notre religion vers des sommets qu’elle n’aurait jamais dû quitter ! ».Germaine était abasourdie. Elle ne s’était jamais sentie grande prêtresse de quoi que ce soit. Saint Pierre en profita pour porter l’estocade finale : « Lors du concours auquel vous allez participer demain, l’occasion sera belle de marquer les esprits et de lancer un mouvement irréversible. Sans votre aide le Vatican ne parviendra jamais à ses fins. Nous comptons sur vous ! »

Germaine se sentait investie d’une mission divine. Enfoncée Bernadette Soubirou, explosées en vol Ste Thérèse de Lisieux ou d’Avila,  place à Ste Germaine du Capitole !

« Que la volonté de Dieu soit faite. » murmura t’elle résignée et secrètement heureuse.

Un sourd grondement remua alors les entrailles du Paradis, les brumes blanches recouvrirent à nouveau St Pierre et…et …et …Germaine se réveilla dans son lit avec un sacré mal de tête !

La pendule normande qui ornait sa cheminée, reliquat d’un maigre héritage d’une vieille tante décédée à St Lo, marquait cinq heures du matin. « Il est cinq heures Paris s’éveille » maugréa t’elle en recherchant désespérément un tube d’Alkaselzer supposé mettre fin à sa céphalée.

Puis, elle se leva péniblement, s’accrocha à son lavabo et s’employa à remplir un verre d’eau salvateur. En guise d’auréole, deux cernes noirs cerclant ses yeux témoignaient d’un sommeil agité. Soucieuse de vérifier si elle avait bien réintégré son enveloppe charnelle, elle se pinça fortement et la douleur lui fit comprendre qu’elle ne rêvait plus. Pourtant, la réalité de son entrevue avec St Pierre ne faisait pas pour elle l’ombre d’un doute. Rassurée sur son avenir immédiat, elle se recoucha, se promit d’aller plus souvent à la messe dominicale et se rendormit apaisée et consciente de la lourde tache qui l’attendait.

Levée vers onze heures, elle déjeuna d’un frugal repas et passa l’après-midi à peaufiner son vieux tailleur noir et, surtout, son corsage de soie blanche avec jabot de dentelle.

Vers 17h, elle sauta dans le bus rue de Belleville, direction Porte des Lilas puis correspondance avec un autre bus de banlieue destination place Carnot à Romainville ou se tenait le cinéma « Le Trianon » figurant sur sa convocation.

Sur place régnait déjà une énorme effervescence. Les cars de France Télévision avaient pris possession des lieux et, en contrebas, direction Noisy le sec, une batterie de projecteurs prenait la façade du cinéma sous un feu croisé et nourri. Une foule hétéroclite et bariolée de techniciens, câbleurs et manutentionnaires s’agitait en tous sens, rivalisant d’énergie pour qu’à 21h précise le top antenne puisse être déclenché.

Dans sa caravane privée le maître d’œuvre, Eddy en personne, entouré de son staff technique attendait de bon pied les candidates afin de leur faire passer un premier casting et leur remettre les accessoires prévus par la production, à savoir une lampe de poche et le fameux plateau à bretelles regorgeant de friandises diverses. Germaine ne put s’empêcher de penser qu’entre plateau à bretelles et piano à bretelles, elle serait bientôt la digne pendante d’Yvette Horner, version ouvreuse. Néanmoins, c’est toute tremblante qu’elle se présenta munie de son précieux sésame. Malgré quelques maladresses dues à l’émotion, elle obtint le n° 13 sur les quinze numéros en compétition. Un assistant, fort servile, la conduisit alors dans l’une des trois caravanes géantes transformées en loges. Ne restait plus, après un ultime repoudrage sous la main experte d’une maquilleuse, qu’à attendre l’heure fatidique des trois coups.

Un mot sur le programme de cette «  Dernière séance ». D’abord un bon vieux « Tom et Jerry » puis, première entrée en scène d’un groupe de chanteurs noirs américains « The new-Orléans Gospel » chargé d’accompagner Eddy dans une version remixée de « Pas de boogie, boogie avant la prière du soir ».

Ensuite entracte durant lequel devait se dérouler le concours proprement dit. Les candidates, par groupe de cinq, officieraient durant dix minutes, soit une demi-heure au total. Le jury, anonyme, présent dans la salle,  jugerait les postulantes sur leur présentation, leur entrain, leur talent à convaincre un acheteur réticent. Le chiffre d’affaire ne servirait, éventuellement, qu’à départager deux candidates ex-aequo.

En deuxième partie, durant la délibération du jury, retour du groupe Gospel en solo et pour finir : projection du grand film du jour : « Le bonheur est dans le pré » avec, vous l’avez deviné, l’inusable Eddy Mitchell.

A l’issue de la séance, proclamation des résultats et montée sur le podium de la lauréate accompagnée de ses deux dauphines.

Germaine était morte de trac. Elle, qui n’avait connu que le « certif », avait les jambes flageolantes. Qu’était-elle venue faire dans cette galère ? Avec son numéro 13 (porte bonheur ? tu parles !) elle officiait dans le troisième groupe et les premières prestations avaient été, à ses yeux, d’un niveau assez relevé.

Vint enfin le moment de descendre dans l’arène, non pardon, l’allée qui lui était impartie.

Bien sûr, elle fit de son mieux mais même son fameux « Toréador prends ga ..arde, un caramel noir te rega..arde ! » tomba plutôt à plat. Pire ; « Pépito mi chocolate, Pépito mi capuccino… » ne rencontra qu’un succès mitigé. Il faut dire qu’une concurrente de quinze ans  sa cadette avait fait fort dans le genre sexy. Elle savait se pencher à merveille pour rendre la monnaie et, faute de jabot, faire découvrir à un interlocuteur masculin ravi deux globes laiteux, promotion audacieuse du chocolat au lait figurant sur son plateau.

A propos de seins, le rideau se leva pour le second passage du groupe Gospel qui, en hommage à Louis Armstrong attaqua le très classique : « When the Saints go marching in ». Hormis le jury qui s’était réuni en coulisses pour délibérer, le public accompagnait ce morceau avec ferveur en battant des mains en saccade.

Prostrée à l’angle de la scène, Germaine n’y tint plus. Perdu pour perdu, il fallait tenter quelque chose. Essayer au moins de donner satisfaction à St Pierre qui devait contempler ce spectacle d’un air dubitatif.

Empruntant le petit escalier conduisant sur l’estrade, elle se rua au milieu du groupe médusé et emprunta d’autorité le micro à une mamma noire ébahie puis, prenant bien soin de respecter le tempo de la partition, elle entonna d’une voix vibrante et désormais privée de complexes :

                                   « Quand les bonbons, les caramels

                                      les chocolats iront au ciel

                                      Ils ne seront, quoi qu’il advienne

                                      Que de vulgaires péchés véniels »

Et la foule de reprendre en chœur :

                                    « Quand les bonbons, les caramels

                                       Les chocolats seront au ciel

                                       Ils ne seront, quoi qu’il advienne

                                       Que des  petits péchés véniels ! »

Opportuniste, Eddy surgit alors des coulisses comme un beau diable et, prenant Germaine par la taille, il entama avec elle un duo improvisé que n’auraient pas désavoué Stone et Charden. Un brin décontenancé, le groupe de jazz apporta, dans la foulée, son concours de voix basses et graves, justifiant ainsi leur réputation de sacré chœur doublé d’un sacré cœur.

Le public, station debout, scandait chaque strophe en balançant d’un pied sur l’autre, bref un « bœuf » magistral digne des caves enfumées de St Germain des Prés, façon Boris Vian.

Assis sur son nuage, St Pierre frétillait d’admiration : « Quel bon boulot ! » s’exclama t’il  « L’homme à la papamobile ou son successeur n’auront plus qu’à se ruer dans la brèche, je savais bien que je pouvais compter sur elle ! »

Le jury, tétanisé, revint sur sa première inspiration érotique et proclama Germaine « Reine des ouvreuses du vingtième siècle », nomination suivie d’un confortable chèque de 10.000 euros. Germaine était aux anges, « remake » inattendu de la nuit précédente.

 Son retour triomphal, rue des Solitaires, dans une limousine blanche conduite par un chauffeur noir en livrée rouge ne fut qu’une péripétie qui fit pourtant la une de « Voici » et de « Gala » ; Pauvre France !

Puis le soufflé retomba mollement. Germaine ne changea rien à ses habitudes et marqua toujours le même empressement à accueillir le facteur essoufflé .Les lettres, très nombreuses dans le mois suivant cette histoire, ne lui parvinrent plus qu’avec parcimonie.

Elle s’est juré de ne pas mourir avant que le prochain concile de Vatican III n’entérine le péché de gourmandise comme nul et non avenu. Ce jour là, elle pourra, guillerette, partir recueillir les félicitations du vieil homme à la barbe blanche et, qui sait, arpenter les allées du Paradis en chantant pour l’éternité son succès du Trianon devant une foule d’anges et d’angelots en extase. Sans doute l’accompagneront-ils en battant des ailes tout en dégustant, simple péché véniel, quelques bonbons, caramels et autres chocolats.

Jean-Pierre PALISSIER

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