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Recueil d'écritures
11 octobre 2014

Je m'appelle Frida

JE M’APPELLE FRIDA………

Résultat de recherche d'images pour "carte téléphonique"

Bonjour ! Je m’appelle FRIDA. Oui, je vois. Vous haussez les sourcils car c’est la première fois qu’une modeste carte téléphonique s’adresse à vous d’une manière aussi péremptoire !

Et bien, il va falloir vous-y faire. Depuis qu’un obscur mais génial Mr Moréno (pas Dario le chanteur, l’autre, l’ingénieur) nous a doté d’une puce intelligente cette dite « intelligence » n’a cessé de progresser pour déboucher comme il va de soi sur le droit à la parole. Elément indispensable et élémentaire, du bon fonctionnement d’un régime démocratique et républicain.

A force de voir transiter, par notre intermédiaire, une masse incommensurable d’âneries en tout genre, il faut bien, de temps en temps, remettre de l’ordre dans tout çà et affirmer son indépendance.

Je suis née, il y a peu, dans une maternité du quartier des Gobelins à Paris. En fait, il serait  plus juste de dire un modeste bar tabac de l’avenue du même nom et j’ai poussé mes premiers cris au milieu des cartes à gratter, Loto, Kéno et Rapido de tout poil. Sans compter ces paquets de la SEITA qui paraît-il nuisent gravement à la santé, et autres sucettes, briquets jetables, chewing-gums, timbres, tickets de métro. J’en oublie sûrement mais vous saurez sans doute vous y retrouver dans cet antre dédié aux petits plaisirs du genre humain. Sous blister plastique j’étais habillée d’un élégant sweet vert et bleu marine sur lequel se détachait un logo « loto foot », Moi qui déteste le foot !, et d’une inscription style incitation à la débauche : 1 appel = 01 rencontre

                                                   7 euros = 13 rencontres

Voilà qui me semblait particulièrement bien choisi pour l’entremetteuse que je me promettais de devenir. Ainsi a commencé ma courte vie dans l’attente du chaland qui passe.

Quelle patience il m’a fallu avant qu’un quidam daigne s’intéresser à moi !

En fait de quidam, il s’agissait d’une quidame ! Jolie demoiselle au demeurant !, étudiante en langues orientales, allemande de nationalité et francophone de cœur. Blonde comme le houblon, pommettes rouges en pommes d’api, ses yeux bleus reflétaient à la fois l’innocence et la profondeur des lacs constitués de lave volcanique. Bref, une jolie poupée qui me détermina, instantanément, à troquer mon ridicule prénom de « télécarte 50 » contre celui de « Frida » qui se trouvait être le sien.

En proie, apparemment, au mal d’Amour si fréquent à son âge, elle déposa les quelques euros nécessaires à mon acquisition sur le monnayeur du comptoir et se rua aussitôt sur la cabine téléphonique du carrefour. La porte pivotante à peine refermée dans son dos, elle s’empressa alors de m’introduire dans la fente réservée à cet effet. N’y voyez là aucune connotation sexuelle mais cette introduction maladroite n’était, ni plus ni moins que mon dépucelage.

Elle pianota alors, d’une manière fébrile, sur le clavier de l’appareil et nous restâmes l’une et l’autre, dans l’attente de la sonnerie que cette manœuvre ne manquerait pas de déclencher.

Un craquement sonore retentit et une voix quelque peu ramollo proféra un « allô » à la limite de l’audible. S’en suivit un dialogue le plus souvent unilatéral ou ma belle écervelée dégoulina d’amour et de tendresse envers un certain « bob » qu’elle avait vraisemblablement arraché aux bras de Morphée (ou de quelqu’un d’autre). Durant cet échange, si l’on peut dire, ma position s’apparentait à celle d’un spectateur de tennis à Roland Garros. Un coup à droite un coup à gauche auquel répliquait un cou à droite, un cou à gauche, au grand dam d’un torticolis naissant. Toujours est-il que ce jeune homme, étudiant en lettres de son état, réagissait plutôt comme un parfait goujat. Singeant Marcel Zanini, il lui entonna d’abord « tu veux ou tu veux pas ? » puis prétextant le temps pluvieux, il lui proposa de venir la rejoindre en précisant qu’il saurait sortir couvert. Hélas, ma blonde énamourée ne semblait s’apercevoir de rien et, son emploi du temps ne lui permettant pas d’accéder au désir de Bob, elle termina sur la promesse de rappeler, dès que possible l’homme de sa vie. Un dernier bisou, peu hygiénique, sur le combiné du téléphone qui n’en demandait pas tant et elle raccrocha sans oublier de m’extraire de ma fâcheuse position.

(Vous ne pouvez pas imaginer à quel point on se sent à l’étroit dans cette foutue fente !)

Ensuite, elle me remisa au fond de son sac fourre tout et me voilà perdue entre produits de beauté, coupe ongle, stylo, un ticket de la française des jeux un tube, d’efferalgan, un carnet d’adresse et, bien sûr, une photo dédicacée du fameux « bob ». Berk ! Par contre, aucune trace de préservatif. Ce « bob » n’avait sans doute pas été assez persuasif pour l’instant. Les jours suivants me permirent de faire la connaissance de ses parents, honorables bourgeois Munichois morts d’inquiétude à l’idée des rencontres que leur fille pouvait faire à Paris mais, les subtilités de la langue de Goethe m’empêchent de vous faire une relation fidèle de ces communications fortes courtes dans l’ensemble.

Un autre soir, elle rappela sa copine Olga qui se trouvait être « l’ex du fameux Bob ».

Les réponses laconiques et évasives de cette dernière « oui, non, ah bon ! T’es sûre ? », ne contribuèrent pas à l’enrichissement de France Télécom mais, il me sembla percevoir comme une petite tension entre les deux donzelles. En fait Bob n’était qu’un papillon qui se posait de fleur en fleur et aucune morale ne venait entraver sa prospection chaotique.

Mais Frida ne semblait se rendre compte de rien. Elle était sur son nuage et, que croyez vous qu’il arrive à un nuage ? Un jour il crève et se transforme en larmes de pluie. C’est exactement comme çà que prit fin la liaison entre Frida et Bob.

Coincée dans mon habituelle et inconfortable position, je fus donc le témoin d’un adieu des plus solennels où Bob expliqua avec un certain aplomb qu’il avait fauté avec une jeune fille, mineure de surcroît, et que, pour réparer il était condamné à un mariage qui l’effrayait mais auquel il saurait faire face en homme d’honneur. Personnellement, je ne sais pas ce que vous en pensez mais cette argumentation sentait l’arnaque au plus haut point. Abasourdie par la nouvelle, Frida éclata en sanglots et quitta la cabine en courant sans se retourner.

Le combiné se mit à pendre dans le vide, tel un pantin désarticulé. De ma position, je ne pouvais que contempler l’ampleur des dégâts et attendre qu’une âme charitable vienne me redonner l’espoir, soit de revoir Frida, soit qu’une main charitable se penche sur mon cas. La délivrance survint un quart d’heure plus tard. Il s’appelait Basile Ceausescu SDF, roumain et sans papiers, il avait quitté Sécu, village de sa Roumanie natale situé à l’ombre des Carpates et célèbre pour son monastère*, pour les charmes sulfureux de Paris, ville lumière, imité en cela par bon nombre de ses compatriotes.

Un SDF en provenance de Sécu ? Voilà qui est curieux mais qui ne s’invente pas ! Son « Paris-Eldorado », son « Paris-La poule aux œufs d’or » s’était vite transformé en Paris-misère et Paris-galère. En partant, il avait pris la précaution d’emporter une vieille carte routière de Roumanie afin de mieux pouvoir expliquer d’où il venait à d’éventuelles connaissances de rencontre. Hélas, ce précieux document n’avait pas survécu à l’un de ses multiples déménagements. Basile cumulait vraiment les handicaps. Depuis peu, il s’était surtout spécialisé dans le soulagement des  parcmètres et la mendicité aux feux rouges. La disparition des cabines à pièces, faciles à fracturer, au profit de celles à carte l’avait vite convaincu du peu d’intérêt de ces dernières. Ce jour, pourtant, une pluie fine et persistante l’amena à trouver refuge dans la cabine quittée voilà peu par Frida.

Basile portait une chaussure à talon haut au pied droit et une de tennis au pied gauche. Son jean délavé et effrangé à la base recouvrait le tout et lui permettait d’adopter une attitude claudicante, qu’il le veuille ou non. En fait il le voulait ! Cette astuce portant sur une disgrâce physique était d’un meilleur rapport lors de la quête au feu rouge le long des véhicules à l’arrêt. Une barbe de trois jours et un simple carton accroché au cou par une ficelle sur lequel on pouvait lire : « 1 € pour manger » constituaient l’essentiel de son look complété par une parka crasseuse extraite des surplus militaires de je ne sais quel pays de l’Est.

Pour l’heure, il venait de pénétrer dans la cabine et contemplait, perplexe, le combiné balançant au bout du fil. Son regard se porta enfin sur moi et une esquisse de sourire dérida sa barbe naissante. Il raccrocha le combiné, me sortit précautionneusement, puis me renfila illico dans l’orifice et décrocha.

A sa grande satisfaction, le chiffre 39 unités clignota alors sur le voyant.

J’étais moi-même assez surprise. Ainsi Frida n’avait dépensé que onze unités en ma compagnie. Il m’avait semblé plus mais, après tout, c’était ma première expérience de vie commune avec un utilisateur et je manquais de repère.

A son arrivée en France, Basile avait trouvé refuge dans un bidonville qui jouxtait la zone industrielle du « Lago », frontière naturelle entre Vitry et Choisy le Roi. Depuis peu, les gesticulations d’un descendant d’émigrés, d’origine hongroise celui-là, avait entraîné le rasage de ce bidonville pour le rendre à sa belle vocation de friche industrielle. Il faut dire que ce descendant d’émigré n’était autre que Nicolas Sarkozy, trépidant ministre de l’intérieur de la belle et accueillante nation française.

Poussé primitivement à l’exil en raison de l’état ou l’infâme dictateur Nicolas Céaucescu avait conduit sa patrie, voilà maintenant qu’un second Nicolas boutait Basile hors de Choisy ! Si jamais je m’appelle Basile et qu’un Nicolas vienne à ma rencontre, à coup sûr, je change de trottoir ! Mais notre ami n’avait cure de ces considérations pessimistes. Pragmatique, il s’était replié dans un squat, immeuble délabré et muré du port d’Ivry au bord de la Seine. A cet endroit, une quinzaine de marginaux guettaient chaque matin l’arrivée des bulldozers et des pelleteuses qui transformeraient leur hôtel trois étoiles en résidence à la belle étoile.

  Dans l’immédiat, Basile m’avait fourré dans la poche extérieure de sa parka ou je fis connaissance d’un mac-do à moitié entamé et d’un paquet de clopes crasseux.

Les doux parfums du sac de Frida me revinrent à l’esprit mais, que faire ?, sinon me résigner à mon triste sort. Le soir même, Basile chercha à me négocier auprès de ses compagnons d’infortune du squat d’Ivry, mais, hormis un pauvre bougre qui téléphonait encore de temps en temps à l’ANPE, aucun d’eux ne semblait intéressé par ma modeste personne. Il faut dire que Basile avait mis la barre un peu haute. D’après lui, je valais Dix € !, le pauvre bougre n’était sans doute pas au courant des tarifs. D’ailleurs Basile ne faisait pas l’unanimité auprès de tous.

 Outre le sempiternel refrain « ou vas-tu Basile ? » qui accompagnait chacun de ses départs du squat, son patronyme lui posait quelques problèmes. Déjà, en Roumanie, porter le même nom que le tyran défunt ne lui valait que lazzis et quolibets et avait peut-être contribué à sa décision de partir. Mais voilà qu’au squat un vieux prof alcoolique qui se faisait passer pour l’intellectuel de la bande avait cru bon de déformer son nom en : « C’est haut Seize culs ! ».

Lorsque l’image de seize postérieurs empilés les uns sur les autres fut bien intégré par l’ensemble du groupe (certain mirent une semaine à comprendre !), Basile se vit interpellé par son nom à longueur de journée et, il préférait, de loin, errer le long des rues à la recherche de sa pitance quotidienne.

Toujours est-il que quinze jours après la passation de pouvoir entre Frida et Basile, je me morfondais toujours dans la poche de la parka avec, pour compagnon, un vieux saucisson qui avait remplacé l’entame de mac-do. Le destin frappa pourtant alors que je m’y attendais le moins.

Ce vendredi 3 janvier, au soir, Basile était en poste à son emplacement fétiche. Feux rouge à la porte d’Italie en sortie de bretelle du périphérique Est. De blancs flocons commençaient à couvrir le sol de la capitale d’un épais manteau neigeux.

Basile, frigorifié, s’apprêtait à rejoindre la pénombre et la chaleur relative du squat lorsqu’une grosse berline noire, Mercedes ou BMW s’immobilisa à sa hauteur. La vitre fumée de la portière arrière gauche s’abaissa lentement et une voix impersonnelle s’éleva de l’intérieur du véhicule : « Dites moi mon brave, … mon téléphone cellulaire vient de tomber en panne, pourriez vous m’indiquer la cabine téléphonique la plus proche , » Basile hocha tristement la tête puis, rassemblant péniblement quelques rudiments de son français hésitant ; il répliqua : « ça, cabine, pas difficile … à l’angle du boulevard là-bas » et il joignit le geste à la parole puis, mu subitement par une soudaine inspiration il poursuivit : « Mais, vous savoir… cabine ne fonctionne pas avec pièces et moi avoir carte pour vous ! 10€ pas cher ! ». Cette révélation déclencha un temps de réflexion à l’intérieur du véhicule puis la même voix impersonnelle reprit cette fois à l’adresse du chauffeur, impassible à l’avant : « Dites moi Jérôme, les cabines téléphoniques ne prennent plus les pièces maintenant ? ».

La casquette du dénommé Jérôme vacilla deux fois du haut vers le bas « Que Monsieur m’excuse mais depuis que monsieur à rompu avec la gouvernante des enfants de monsieur, il y a bien quinze ans déjà, Monsieur ne s’est plus jamais servi de ce genre de cabine. ».

« C’est exact Jérôme, mais, je vous en prie, ne mêlez pas ma vie privée à tout çà ». Le célèbre et énigmatique Baron de la Roche Chausey, héritier de la famille belge du même nom, consulta rapidement sa montre Cartier et s’exclama : « Bon dieu Jérôme, il me faut cette carte ! »

Basile, qui prêtait une oreille attentive, réitéra son offre en majorant son prix au passage : « Moi avoir carte pour vous …20€, pas cher ! ». Cette deuxième tentative fut la bonne. Le baron emprunta sur le champ un billet de vingt euros à son chauffeur et effectua la transaction en un tour de main.

Cependant qu’une main experte et gantée de cuir s’emparait de ma personne, Basile se fendait d’un merci Monseigneur découvrant, dans un sourire ravagé, tous les chicots qui lui servaient de dents.

La BMW (finalement, c’en était une) démarra en trombe et vint s’immobiliser en double file devant la cabine indiquée par Basile. Le Baron se rua, en ma compagnie, dans l’édifice de verre et il m’introduisit, j’allais dire « à la hussarde », mais, « en levrette » serait plus approprié, car il dut me retourner pour parvenir à m’enfiler dans le bon sens. Preuve que je ne comptais pas pour du beurre, cette mise en position ne s’accompagna pourtant d’aucun artifice rendu célèbre par « Le dernier tango à Paris. D’ailleurs, si on fait référence à Marlon Brando, l’allure massive et bougonne du baron le rendait plus proche du parrain que le personnage qui fit subir les derniers outrages à Maria Schneider. Les cinéphiles comprendront.

Le clapotis des touches fut plus long que prévu. Une vraie partition de Mozart, puis le silence se fît. Le Baron suait à grosses gouttes lorsqu’enfin la liaison fût établie :

« Allô, Wall-Street? Are you always open?”

“Five minutes! OK passez-moi Mr Paul Haward”. “Yes, Paul Haward de la part de Georges Homère Baron de la Roche Chausey à Paris. Thank You ».

Après un interminable crachement qui fît craindre le pire au Baron, une voix s’éleva, si nette, qu’un instant,  je crus qu’elle provenait de Jérôme qui faisait les cent pas autour de son véhicule.

Fort heureusement, il n’en était rien.

« Allô, ici Paul. How are you Georges Homère?”

« It’s good mon petit Paul, mais il faut faire vite. »

« Vendez immédiatement toutes les actions Rockwell en notre possession au prix du marché. »

« Comment, toutes ? ».

« Oui, j’ai bien dit, Toutes, c’est un ordre. »

« Vous pensez qu’elles vont augmenter demain ? Ce n’est pas vos oignons, Je m’en fous. »

« C’est toutes et tout de suite !  Sinon vous êtes viré ! »

Manifestement le Baron n’était pas dans son assiette et moi je n’en menais pas large. D’ici à ce qu’il me déchire comme un vulgaire ticket de métro. Par ailleurs, je sentais mes unités défiler à vitesse grand V et craignais fort que la conversation n’arrive pas à son terme. Finalement le Raider obtempéra en maugréant et le Baron raccrocha, soulagé.

 Le Baron n’était pas à un délit d’initié près, il avait appris, incidemment, qu’une OPA sauvage et inamicale menaçait la Rockwell Corporation Limited et qu’il risquait de perdre ainsi plus de cinquante pour cent de cet investissement devenu soudain un capital à haut risque. Grâce à mon intermédiaire, il venait de joindre son chargé d’affaire à New-York avant la date fatidique et il me devait une fière chandelle. Avant de sortir de la cabine, il entreprit de glisser un cigare entre ses lèvres charnues, puis, se ravisant, il prit soin de m’extraire de ma position opérationnelle et déposa un tendre baiser sur ma face cachée. Cet hommage discret d’un puissant capitaine d’industrie me gonfla d’une fierté légitime.

 Enfin, j’étais reconnue pour mes mérites et la fréquentation de ce puissant n’était pas pour me déplaire. Telle une reine d’un jour, il me glissa ensuite, précautionneusement, dans son gros portefeuille en croco noir dans la partie réservée aux cartes de crédit. Je pris place entre une carte visa premier et une carte Américan Express qui me dévisagèrent d’une moue dubitative.

Ces deux poufiasses, issues du cercle fermé de la haute finance, ne m’adressèrent jamais la parole. Snob de chez snob, on ne fait pas mieux ! C’était à celle qui se vantait d’avoir le plus gros découvert ou d’avoir participé à une grosse transaction avec les émirats du Golfe.

A vrai dire, leur mutisme ne m’inspirait que le mépris. Moi, humble carte téléphonique dont le capital ne se montait plus maintenant qu’à douze unités, (Mon dieu, que c’est loin New York) venait de recevoir mon bâton de maréchal. Ah, si j’avais pu communiquer avec les copines du tabac Gobelins, je pense que j’aurais fait quelques envieuses….. Nostalgie, quand tu nous tiens !

Mon nouveau propriétaire n’avait plus besoin de moi mais, sans doute par reconnaissance aux services rendus, il me conserva au lieu et place qu’il m’avait attribué lors de cette soirée mémorable. Tout juste, un jour, me demanda t-il de bien me serrer pour partager mon emplacement avec une nouvelle arrivante qui portait le nom de carte vitale. Plutôt sympa la nouvelle, mais hypocondriaque au possible ! Avec elle, il n’était question que de maladie et de remèdes de bonne femme. A cause d’elle des démangeaisons réelles ou imaginaires, commencèrent à me gagner et, c’est avec un réel soulagement qu’un beau matin, je fus amenée à quitter le beau portefeuille en croco du Baron pour celui en skaï beaucoup plus modeste de son fils le Comte Ernest Joachim de la Rose Chausey.

Ce dernier, brillant étudiant à la Sorbonne, venait de faire part à son père du désir de m’utiliser car il venait, comme tout un chacun, de se faire racketter son portable dans la cour de l’établissement.

J’en déduisis que son papa lui avait fait l’éloge de mon efficacité et ce simple rappel me gonfla d’orgueil. A peine sorti du château familial, Ernest Joachim arrêta sa Clio au pied de la première cabine venue. Je vous passe les modalités de mise en service que vous connaissez bien désormais.

La voix de son interlocutrice déclencha un bond sur ma puce. Il est vrai que les puces sont de sacrées sauteuses, mais là, en l’occurrence, il m’avait semblé reconnaître la voix de Frida !

Sur le coup de l’émotion, j’avalai deux unités puis me repris et portai une oreille attentive, persuadée de mon erreur. Pourtant, à ma vive satisfaction, l’erreur était juste ! Aucun doute n’était possible !  A l’autre bout du fil, je reconnu son inimitable accent bavarois et sa façon innocente de poser des questions qui étaient en même temps des réponses. Que sa voix transite dans un sens ou dans l’autre, c’était bien elle : Frida, ma Frida, mon inoubliable Frida.

Coincée, comme toujours, je me mis à trembloter en guise d’applaudissements. Je voudrais vous y voir vous ! Puis, je tombais des nues. Ernest Joachim de la Roche Chausey demandait Frida en mariage sans même se douter que j’étais le seul témoin de cette minute historique.

Le « Oui » de Frida, qui fit trembler l’écouteur, coïncida avec ma dernière unité et je dus rassembler mes dernières forces pour donner consistance et résonance au baiser qu’elle ne manqua pas de donner sur le combiné comme elle en avait l’habitude.

Pour couronner le tout Ernest Joachim se promit de me conserver comme preuve tangible de leur histoire d’Amour. Peut-être ai-je fini en bonne place sur leur album de famille juste au-dessus de la photo de leur première progéniture ? Il n’empêche, ma mission du service public se terminait en apothéose ! Qui sait si une place au musée de la Poste* ne m’attendait pas à l’avenir ?

Je compte d’ailleurs beaucoup sur vous pour colporter mon histoire.

Ma carrière terrestre étant terminée, je pouvais désormais dormir en paix. Je m’appelai Frida.

J.P.P.

(J’adore Passionnément les Postières)

*MUSEE DE LA POSTE

34, Boulevard de Vaugirard

75731 PARIS CEDEX 15

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  • Depuis 2001, dix années de réflexions, rimées ou non, sur la vie de tous les jours, sur celle mise en exergue par les médias et sur les thèmes essentiels de l'existence: la vie, l'amour, la mort. Quelques nouvelles et récits pour saupoudrer le tout.
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