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Recueil d'écritures
9 octobre 2014

Les tribulations de Gédéon

Les tribulations de Gédéon

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Ce mardi 30 Juin 1903, vers 19 h, une locomotive haletante et poussive émis un long panache de fumée noire, sembla hésiter un instant puis s’immobilisa en gare de Villeneuve-Saint Georges. Passé le crissement plaintif des freins, un autre nuage, blanc celui-là, enveloppa les rares passagers qui mirent pied à terre. Parmi eux, posant précautionneusement le pied sur le quai, descendit Gédéon Escartefigue dont la tenue stricte et l’élégance vestimentaire soignée contrastaient avec la tenue estivale et débridée des autres passagers. Beaucoup venaient passer quelques jours de vacances en ce coin d’ile-de-France et profiter ainsi des méandres de la Seine et des balades pédestres en forêt de Sénart toute proche. De nombreuses guinguettes et estaminets permettaient, pour un prix modique, d’offrir au citadin les prémices de ce qui serait, quelques années plus tard, les congés payés.

Gédéon, lui, offrait plutôt l’allure d’un notaire de province, habillé, chaudement pour la saison, d’un duffle-coat pied-de-poule et de belles bottines cirées.

Passées les formalités de contrôle des billets, il obliqua résolument sur sa droite et prit d’un pas alerte la direction de Montgeron, paisible bourgade agricole de Seine et Oise. Dans une main, une valise noire en croco contenait ses effets personnels et, dans l’autre, un coffret en osier était riche d’une vingtaine de bocaux en verre enfouis dans une paille fleurant bon son Périgord natal.

La quarantaine sportive, son visage  légèrement dégarni valait surtout par une belle paire de rouflaquettes virant au gris encadrant un nez épaté surplombant des lèvres charnues. Ses yeux noirs, surmontés d’épais sourcils poivre et sel, étaient toujours en mouvement et trahissaient une nature inquiète. Malgré tout, l’image d’un bon vivant apparentée à celle d’un moine dont l’imagination populaire est friande.

Une seule ombre à ce tableau idyllique : Gédéon avait une phobie bien curieuse. Une phobie pour les portes, toutes les portes : petites, grandes, vétustes, mal fermées, à double battants, fenêtres, cochères, voire même dérobées !

A cela une bonne et douloureuse raison. Adolescent et apprenti dans l’usine familiale, préposé au remplissage des bocaux de foie gras, il avait été victime d’un accident pour le moins inattendu.

Un jour il profitait d’une courte pose de midi pour prendre le frais sur le seuil de l’atelier. L’air lourd et moite laissait présager un déchaînement des forces célestes. Soudain une bourrasque aussi violente qu’inopinée avait rabattu la lourde porte en fer forgé du hangar de préparation des commandes. « Prendre une locomotive en pleine poire ! », telle fut l’impression du malheureux stagiaire qui, propulsé à l’intérieur du site, termina sa course le cul par-dessus tête en pulvérisant au passage une pille de bocaux. Son nez passa instantanément du qualitatif « aquilin » à celui d’ « épaté », façon polie d’éviter celui de « boxeur ». De surcroit, le verre brisé fut imputé sur ses maigres gages. Cruelle ironie, l’évolution de sa carrière le conduisait désormais à faire du porte à porte.

Hâtant le pas, il fut doublé par quelques calèches et par bon nombre de vélocipèdes qui semblaient converger vers la forêt de Sénart et ses environs. Sur le coup de 20 h, il parvint sans encombre à l’auberge du Réveil Matin, marquant, outre l’entrée de Montgeron, le carrefour de la route de Draveil et l’orée de la forêt. Le patron de l’établissement, Emile Poujol, un grand gaillard jovial au tablier blanc maculé de traces douteuses l’accueillit par un sonore : « Mildiou, Monsieur Gédéon, encore de passage parmi nous ! », vous n’êtes donc pas rancunier envers les chemins de fer ! ».

Cette fine allusion faisait référence à l’accident du 21 Octobre 1895 où un convoi des chemins de fer de l’Ouest oublia de freiner à l’arrivée Gare Montparnasse et termina sa course à travers les murs de la gare sur l’Avenue du Maine à Paris. Ce jour là, Gédéon Escartefigue, jeune commis de commerce de l’entreprise de foie gras « Rastignac » voyageait dans la première voiture qui resta suspendue au dessus du vide et il ne dut son salut qu’à la grande échelle des pompiers de la capitale.

Et bien non, lui répondit Gédéon, il n’y a que le rail qui m’aille ! Mais sers moi plutôt une de ces petites Cervèze dont tu as le secret. Demain j’aurai l’honneur et l’avantage  de présenter à la foire de Montgeron le nectar de la Dordogne, l’incomparable foie gras »Rastignac » qui, à cette occasion, lancera son slogan : « Le caviar de Bergerac ! ».


J’espère, lui répondit l’hôtelier, que tu oublieras l’un de tes bocaux sur la table de nuit, à mon intention bien sûr ! Il fit suivre ce propos d’une vigoureuse claque sur l’épaule qui déséquilibra son interlocuteur puis reprit : « à ce sujet, je t’ai logé à l’annexe car l’auberge est pleine à craquer en raison de… ». A ce moment, il fut interrompu par l’arrivée d’une bande de joyeux drilles qui prétendaient pénétrer dans la salle accompagnés de leurs vélocipèdes. Emile se précipita pour couper court à cette invasion. A son retour la conversation dévia sur un autre sujet.

Gédéon fit l’éloge de son oncle Onésime Rastignac, fondateur de l’entreprise du même nom, qui venait de lui confier cette précieuse mission et il laissa entendre que la réussite de ce lancement lui vaudrait surement une montée en grade indépendante de sa filiation.

Emile l’abandonna d’ailleurs assez vite pour passer aux fourneaux car la salle se remplissait de plus en plus. Chose curieuse, la plupart des convives étaient vêtus de cuissardes et casquettes. Gédéon pensa que la mode parisienne était toujours aussi excentrique. Sur ce, il s’installa à une table et fit honneur à la potée auvergnate et au pichet de vin de pays recommandé par l’aubergiste. Passé le dessert, puis le café, Gédéon déclina d’abord poliment puis finit par accepter avec reconnaissance le petit « pousse-café » que lui proposait le maître des lieux. Sur le coup de 22 h, il se fit conduire à sa chambre située comme prévu à l’annexe. En fait, il s’agissait de l’ancienne grange qui servait autrefois de relais à la malle poste Paris-Melun. L’essor du chemin de fer, encore lui, avait sonné le glas de cette ligne mais Emile avait fait diligence (un bon mot qu’il réservait aux clients de passage) pour transformer ce hangar en gite complémentaire. L’annexe donnait sur la cour de l’auberge et, au premier étage jadis réservé à empiler les bottes de foin, Emile avait créé de ses mains deux vastes chambres reliées entre-elles par un petit palier.

Chaque chambre bénéficiait d’une large fenêtre par laquelle on pouvait contempler la campagne environnante et l’amorce de la route de Draveil. Seul inconvénient, l’accès à ce petit palier tenait plus de l’échelle de meunier que d’un escalier cossu. Emile s’était promis que les premiers bénéfices serviraient à financer l’escalier mais les choses étaient restées en l’état.

Gédéon  enfila sa chemise de nuit puis son bonnet et se glissa sous la couette. Se redressant à demi, il souffla sur la bougie et s’endormit, la tête débordante de carnets de commandes bien remplis. L’espace d’un instant, il se vit même, tel un « imperator » romain traversant les comices agricoles sur un char et arborant au cou la fameuse médaille du mérite qui lui tenait tant à cœur.. Un sourire béat dérida alors son visage couperosé.

Une heure plus tard un vacarme de ferraille suivi d’un pas pesant émaillé d’un juron se fit entendre sur le palier. Gédéon s’autorisa l’ouverture d’une paupière puis d’une autre. La porte palière qui faisait face à la sienne claqua puis le silence retomba.

Encore un couche tard pesta Gédéon. Une lumière blafarde éclairait sa chambre car il n’avait eu ni le courage ni l’envie de tirer les contrevents de bois qui faisaient office de volets. Un croissant de lune voilée transparaissait à travers un carreau. C’est bien ma chance pensa Gédéon, d’ici à ce que demain il pleuve ! A peine venait-il de refermer les yeux qu’un petit bruit grinçant et lancinant prit la relève. Un peu comme le son d’une lime s’attaquant à un barreau. Puis quelques coups secs résonnèrent semblables à ceux d’un burin.

Soudain les sangs de Gédéon se figèrent. L’information faisait la une de la gazette qu’il avait parcourue lors de son court voyage ferroviaire depuis Paris hier au soir. Un prisonnier dangereux, meurtrier récidiviste, en transfert pour la prison centrale de Melun, avait réussi à fausser compagnie à ses gardiens et, bien que menotté, il s’était enfoncé au cœur de la forêt de Sénart sans que personne ne lui remette la main dessus. De multiples battues s’étaient révélées vaines. Dernièrement l’individu, incarcéré à la maison d’arrêt de la Santé s’en était pris, lors d’une promenade journalière, à un maton dont il avait profondément tailladé la gorge à l’aide de ses ongles durs et acérés. Le malheureux surveillant devait une fière chandelle à la jugulaire en cuir de son képi qui permit de contenir l’hémorragie avant l’arrivée du médecin chef de l’établissement pénitentiaire.

« Matons – Moutons / kif kif! !» avait proféré l’égorgeur  avant d’être maitrisé par une camisole de force. Cet exploit lui avait valu le surnom « d’El Kébir » tiré de la fête traditionnelle du mouton que la France coloniale avait importée d’Algérie depuis peu. Cet « exploit » lui avait surtout valu le transfert pour lequel, malheureusement, la camisole n’avait pas été prescrite.

Blême, Gédéon se leva, entrouvrit sa porte avec moult précautions et jeta un regard furtif à l’extérieur. Sur le palier plongé dans un noir d’encre, seul un mince filet de lumière émanait du chambranle de la porte opposée. Au ras du sol, la luminosité était plus vive, facilitée en cela par l’usure du plancher. L’ensemble formait une sorte de quadrilatère brillant qui donnait à cette porte une grandeur et une majesté bien loin de correspondre à la rusticité du lieu. Gédéon, quoique agnostique avoué, y vit comme la représentation des portes de l’enfer. Aidé en cela par l’Armagnac qu’Emile lui avait servi accompagné du sempiternel : « Un p’tit pousse au crime, Monsieur Gédéon ! », son cerveau embrumé assimila cet endroit à l’antre de Belzébuth. Face à ses responsabilités, il prit une profonde inspiration et en deux pas silencieux, il franchit l’intervalle le séparant de ce lieu maléfique. Tétanisé, il se plaqua contre les planches compactes et vermoulues.

Telle une sangsue, il faisait désormais corps avec l’objet de sa terreur. Une odeur d’humus l’imprégna, lui rappelant les senteurs d’un sous bois privé de soleil. Le silence n’était plus troublé que par les battements de son propre cœur. Il se força alors à coller son oreille gauche sur le ventail supérieur et demeura pétrifié.
Mais…que se passait-il donc derrière cette porte ?

Lui parvint alors comme un bruit de roulettes. Pas celui, feutré, du tapis vert des casinos (Gédéon, lors d’une tournée pour promouvoir le foie gras Rastignac en Normandie, avait failli laisser sa culotte à Deauville !), mais plutôt celui beaucoup plus prolétaire émanant des loteries de fête foraine. Une sorte de petit cliquetis mécanique de cette roue qui bute et rebute avant de s’immobiliser sur un taquet. L’agression geignarde d’une lime reprenait ensuite le dessus entrecoupée d’un souffle rauque que Gédéon attribua au fugitif recherché.

« Bigre le bougre » estima t-il, « il est drôlement équipé, sans doute une meule et une lime pour venir à bout de ses menottes ». Son visage émacié vira au gris. « Sans compter qu’avec sa lime il peut aussi affuter ses ongles et les rendre tranchants comme des lames de rasoir ! ».

A cette évocation, il sentit sa sueur qui ruisselait venir au secours de sa gorge sèche.
L’idée d’aller chercher de l’aide lui effleura l’esprit mais la perspective d’emprunter de nuit cet escalier oscillant, qui plus est, en chemise de nuit et babouches le fit vite changer d’avis.

En marche arrière et sur la pointe des pieds, il préféra se replier sur des positions solides et préparées à l’avance. De retour dans sa chambre, il repoussa le minuscule et symbolique verrou qui en condamnait l’accès puis repoussa avec force soupirs, son lit en bois massif contre l’entrée avant de s’asseoir, résigné à l’extrémité opposée de sa couche et d’attendre l’aube comme une délivrance.

Au chant du coq, une intense animation se fit jour dans la cour. Des ouvriers très matinaux entreprirent la construction d’une estrade, cependant que d’autres s’affairaient à déployer un calicot transversal sur lequel Gédéon  découvrit l’inscription : «Journal l’Auto. -Organisation Henri Desgranges ».  Peu lui importait d’analyser le pourquoi de la chose. A côté, les bruits avaient cessé depuis peu mais Gédéon n’avait perçu aucun signal d’ouverture de porte. Peut-être l’assassin dormait-il ? Il se rhabilla prestement, empoigna valise et mallette, dégagea le lit de la porte en réveillant au passage les séquelles d’un vieux lumbago et s’aventura sur le palier.
Une lumière grise et diffuse lui permettait maintenant de se risquer sur l’échelle instable qui tenait lieu d’escalier. L’heure était venue d’aller prévenir la maréchaussée. A défaut d’une médaille agricole, Gédéon se voyait bien regagner Bergerac avec une médaille du civisme ou, qui sait, peut-être une légion d’honneur. A genoux sur le plancher, il posa un pied en contrebas sur la première marche lorsque, brutalement, la maudite porte s’ouvrit. Incrédule Gédéon vit apparaitre un homme athlétique, moulé dans un justaucorps noir et arborant une superbe paire de moustache du style « en guidon de vélo ». Bonjour ! lui dit celui-ci. Je m’appelle Maurice Garin et j’espère que mon activité nocturne ne vous aura pas trop dérangé. N…non, bredouilla Gédéon, mais…je dois partir. Vous savez, repris l’apparition, nous partons pour Lyon cet après-midi et, avec une chaîne aussi peu tendue, je n’aurais pas dépassé Fontainebleau que mes adversaires auraient déjà traversé Nevers.

Ce faisant, d’un geste ample, il désigna un superbe bicycle qui reposait, roues en l’air, au milieu de la pièce. Le soleil levant accrocha quelques rayons (non pas sur les roues qui étaient déjà abondamment pourvues) mais sur le cadre chromé de la superbe machine. 

Maurice Garin Cycling hall of fame  

Gédéon eut l’impression furtive que ce vélo lui clignait de l’œil. « Il fallait bien que je fasse sauter quelques maillons de cette foutue chaîne ! » reprit l’individu, décidément intarissable.

Disons que j’ai éliminé les maillons faibles…et il partit d’un rire tonitruant. C’est comme pour monter cet engin ici hier soir ! Quelle aventure ! Vous allez peut-être pouvoir m’aider à lui faire reprendre le chemin inverse ?

Gédéon déclina poliment l’invitation en prétextant son lumbago naissant.

Cela n’altéra en rien la volubilité de son interlocuteur.
« Vous êtes sans doute journaliste à l’Auto pour couvrir ce premier Tour de France ? ».

« Oui…en quelque sorte…Quoique mon activité se concentre autour des différentes manifestations qui encadrent…vous avez-dit ? Ah oui…le Tour de France ».

Gédéon venait machinalement d’inventer cette réponse car ce flux de paroles l’avait déboussolé.

« Tour de France…Tour de France…grommela t’il entre ses dents. Ce n’est pas parce que je ne suis qu’un pauvre petit provincial qu’il faut me faire prendre des vessies pour des lanternes ! Pourquoi pas Paris-Pékin ou Paris-Vladivostok aussi !

D’un hochement de tête, il fit comprendre que la conversation n’avait que trop duré et il dévala les quelques marches branlantes, ses deux valises soudées à ses poignets crispés.
Il s’engouffra au comptoir régler sa note, repoussa au passage l’idée d’une petite collation et ne prit même pas congé de son ami Emile qui gesticulait au centre de la cour en proie à des problèmes d’intendance. Comme poussé par le diable il partit rejoindre son destin qui l’attendait, quelques encablures plus loin, à la foire commerciale de Montgeron. Sans le savoir, il venait de tourner le dos à un évènement historique. Ce mercredi 1er Juillet 1903, à 15 heures et seize minutes, soixante concurrents s’élancèrent de l’auberge du Réveil matin pour parcourir les 467 km de la première étape Paris-Lyon du premier Tour de France. Le peloton passa à quelques mètres à peine du podium au pied duquel Gédéon, la tête entre les mains, attendait avec angoisse les délibérations du jury concernant le meilleur produit régional présenté au concours. Il est vrai que sa verve pour défendre le foie gras  « Rastignac » n’avait pas dépassé celle d’un honnête comique troupier. Outre la qualité dégustatrice, la gouaille et le dynamisme du camelot comptaient pour beaucoup dans le vote final.

Trop absorbé, Gédéon n’accorda pas le moindre regard à cette poignée d’inconscient qui partaient en découdre sur les poudreuses routes et boueux chemins vicinaux de France et de Navarre.

Au même moment, la brigade fluviale repêcha, flottant entre deux eaux, dans la Seine en aval d’Ablon, le cadavre d’un homme menotté, épilogue tragique d’une cavale avortée, le parquet classa l’affaire. Ce même jour, enfin, à dix-huit heures sonnantes, Mademoiselle Léontine Champoisseau, présidente d’honneur du jury et rosière de la commune décerna la médaille d’or du mérite gastronomique à la choucroute Geissmar dite : « Le calamar de Colmar ».

C’en était trop pour Gédéon Escartefigue qui, livide et dépité évita l’affront d’assister à la remise du trophée à une certaine Greta Schwartz dont le tour de taille témoignait d’un appétit démesuré pour la liqueur de houblon accompagnant sa choucroute. Il remballa précipitamment ses derniers bocaux invendus à l’aide d’un journal qui trainait sur un banc et s’empressa, à longues enjambées de rejoindre la gare de Villeneuve-Saint Georges. Encore heureux, les nuages du matin avaient fait place à un ciel bleu diamétralement opposé à l’orage qui grondait dans le crâne de Gédéon.

 Grosjean comme devant, il était en effet intimement persuadé qu’il devait son infortune à cette porte infâme, génératrice de cette longue nuit d’insomnie, elle-même coupable de sa piètre prestation de bateleur devant le jury. Pour des raisons identiques, il conçut une aversion profonde envers le cyclisme en général et les cyclistes en particulier.

De retour dans sa bonne ville de Bergerac, il découvrit avec stupeur, sur l’une des pages ayant servi à envelopper ses bocaux, l’éditorial d’Henri Desgranges consacré à la promotion de la grande boucle.

De rage, il projeta le bocal qui se fracassa sur un mur proche, puis claqua violemment la porte de son bureau pour s’enfoncer dans la tiède nuit Périgourdine. Quelques rares témoins le revirent, hagard, errant au hasard des rues. Parfois, il s’arrêtait brusquement, faisait face à une porte anonyme présentant quelques similitudes avec celle objet de son ressentiment, et la couvrait d’insultes avant de repartir en marche arrière et sur la pointe des pieds.

Il se murmure, mais n’en croyez rien, que cet épisode douloureux serait à l’origine de la fameuse expression : « Pédaler dans la choucroute » qui, pourtant, ne fit fureur que vers la fin du vingtième siècle. Rescapé providentiel d’un accident de gare, otage occasionnel bien qu’involontaire d’un dénommé Garin, il disparut ainsi sans crier gare et sans que personne n’y prenne garde.

Peut-être les voies du Seigneur, si impénétrables soient-elles, l’ont-elles conduit aux portes du Paradis. Portes sur lesquelles il n’a jamais eu besoin de coller l’oreille ou de jeter l’anathème.

Pour l’anecdote, Maurice Garin devint le premier vainqueur du Tour de France, ayant parcouru 2.428 km à la moyenne de25, 679 km/h.

Performance remarquable et prélude à bien d’autres, mais ceci est une autre histoire.

 

Jean-Pierre PALISSIER

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  • Depuis 2001, dix années de réflexions, rimées ou non, sur la vie de tous les jours, sur celle mise en exergue par les médias et sur les thèmes essentiels de l'existence: la vie, l'amour, la mort. Quelques nouvelles et récits pour saupoudrer le tout.
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